Vous allez délibérer sur un statut de résident. Le
débat s’annonce difficile, il s’agit de limiter l’accès à la propriété qui est
un droit fondamental, mais il ne doit pas surprendre. « Le débat sur un
statut de résident constitue un des grands chantiers à mettre en œuvre pour la
prochaine majorité territoriale ». Telle était, en effet, la conclusion
que la Ligue des droits de l’Homme tirait des réponses au questionnaire qu’elle
avait fait parvenir à chacune des listes candidates, en mars 2010, à la veille
des élections territoriales.
Les premiers échanges sur cette question ont eu lieu à l’issue des Assises du logement et
du foncier. Ils ont confirmé des clivages au sein de l’Assemblée de Corse mais
surtout la nécessité d’une action politique face aux excès de certains acteurs
économiques. Les dérives spéculatives, les difficultés d’accès à un logement
pour de plus en plus de Corses, l’artificialisation galopante des sols au
détriment de l’activité agricole et de la protection de l’environnement, ne
sont plus à démontrer.
On peut arguer du fait qu’ il existe des outils
suffisants, dans les domaines de l’aménagement et de la fiscalité, pour parer à
ces excès. Et vous y travaillez. Cependant, débattre de la résidence, c’est
aller au-delà d’une bonne gestion de l’économie. C’est remettre au centre du
débat les citoyens qui vivent durablement sur notre territoire, quel que soit
leur lieu de naissance ou leur lignage. C’est se donner pour ambition, la
maîtrise démocratique de notre développement.
On regrettera que les droits politiques soient
absents de votre débat. Pourtant, en mars 2010, « la LDH note également avec
grande satisfaction, que la revendication du droit de vote pour tous les étrangers
résidant en Corse, est partagée par plusieurs listes. ». Cette absence pèsera
pour donner pleinement sens à la communauté de destin, en prenant en compte les
réalités migratoires et les évolutions démographiques qui en découlent.
Seront donc traitées les questions foncières et
immobilières. De toute évidence, elles concernent aussi les transformations de
la société corse et le sentiment de dépossession qui la taraude. Vous voici
engagés sur une ligne de crête, avec d’un côté, les tenants de l’uniformité et
de l’immobilisme; et de l’autre, la loi du sang, et la porte ouverte à la
xénophobie.
Il faut tenir bon sur le principe d’égalité, « tel
que le reconnaissent déjà les plus hautes juridictions françaises et
européennes, et qui consiste à traiter identiquement les situations identiques,
mais tout autant à traiter spécifiquement les situations spécifiques »*
C’est pourquoi la question de la diaspora est
cruciale. Accorder aux personnes de la diaspora le statut de résident, c’est
permettre à des non résidents d’accéder à certains droits, alors que d’autres
n’en seront pas titulaires. C’est traiter différemment des situations
identiques, celles de non résidents, et ouvrir la voie à des discriminations.
C’est courir à l’échec. Dès lors, les tenants de l’uniformité pourront
s’opposer à toute évolution, non sans arrière - pensées, en usant d’un argument
juste.
La question de la diaspora est sérieuse. Ses
membres témoignent d’un lien véritable avec la Corse et ne peuvent être
confondus avec les autres non-résidents. Or, malgré ce lien, ils sont de fait
des non-résidents à moins que leur présence pendant l’année soit jugée
suffisante pour acquérir les mêmes droits que les résidents ou qu’ils puissent
décider d’un retour en Corse. Toutefois, ne brouillons pas les termes du débat.
L’attachement par le lignage, avec ses implications affectives et
patrimoniales, n’est pas la résidence qui reste une question de
« sol ».
Un autre débat portant sur la diaspora est certainement
nécessaire. Il pourrait poser la question d’un statut qui prendrait en compte
l’éloignement dans certaines circonstances sur la base de critères sociaux
comme certains d’entre vous le proposent, ou l’engagement associatif qui est
une autre façon de vivre sa citoyenneté. Il pourrait aussi concevoir une certaine représentativité au sein
d’assemblées élues sur la base de ce qui
existe déjà dans le code électoral pour certaines communes, comme l’avait
souligné Jean Pierre Dubois, président d’honneur de la LDH, professeur de droit
public, lors de son intervention devant la commission « Chaubon » en novembre
2012.
Nous le répétons : débattre d’un statut de
résident, c’est marcher sur une ligne de crête. Mesdames et messieurs les élus,
ne prenez pas le risque de jeter une entrave sur votre chemin, qui est aussi le
nôtre pour la conquête de nouveaux droits.
Sur le fond, la résidence doit pouvoir se décliner
en questions précises et évidentes : à partir de combien de temps de
résidence le statut doit-il s’appliquer, et sous quelle condition de présence effective
en Corse au cours d’une année ?
Ces critères laissent ouverts des espaces de
discussion, au sein de l’Assemblée de Corse, mais aussi avec le gouvernement et
les institutions parlementaires.
Le
bureau
*Résolution
« République, diversité territoriale et universalité des droits »,
adoptée par le 87ème Congrès de la Ligue des Droits de l’Homme
(Niort – 2013)
La position de la LDH fait le premier titre des éditions matinales de RCFM : interview d'André Paccou.